Retour vers la page des critiques

 

L'Ombre du Bourreau

 

Intégral (volume 1 et 2)Auteur : Gene Wolfe (voir sa biographie)

Genre : tiraillé entre Science Fiction et Fantasy.

Résumé des tomes :

Cloîtré depuis l'enfance entre les murs austères de la tour Matachine, l'apprenti bourreau Sévérian ignore tout des ruelles bruissantes de Nessus et, au-delà, des merveilles et dangers de la planète Teur... jusqu'au jour de son bannissement. Car l'amour que lui inspire la trop belle Thècle, condamnée à la question, l'amène à trahir ses maîtres. Exilé dans une lointaine province, c'est seulement armé de son étrange épée - Terminus Est - qu'il devra affronter son destin. Naviguant entre fantasy et science-fiction, L'Ombre du bourreau (ou Livre du Nouveau Soleil) est une des quêtes initiatiques les plus originales et inventives jamais écrites.

Critique personnelle :

Seigneur, je ne pensais pas un jour replonger à ce point dans un livre. Depuis J.R.R Tolkien, Robert Jordan, Jack Vance et quelques autres, peu d'auteurs avaient ainsi réussi à me tenir en haleine, scotché à chaque mot de chaque phrase. Je dois l'avouer, sans honte, ce livre m'a envoûté, je frémissais dés une page tournée, maudissais mes yeux lorsqu'ils ne pouvaient plus s'accrocher aux lignes, haïssaient le soleil de basculer aussi tôt dans l'horizon...
Pour ma part, je suis toujours sur Teur, entraîné dans ce récit initiatique par Sévérian le bourreau. L'écriture y est si fluide, si riche, le style si travaillé, si proche de la perfection, l'histoire si prenante, les personnages en rien manichéistes si attachants, qu'on en oublie de boire, de manger ou de dormir.

Vous l'aurez remarqués, je ne tarie pas d'éloges sur cette oeuvre majeure de la fantasy. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il s'agit d'un pilier du genre, un livre qui à lui seul justifie l'existence de la fantasy.
Les protagonistes exposent une galerie impressionnante de caractères et de facettes mais plus que quiconque, Sévérian, le héros s'il en est, semble si fragile et pourtant si fort, si humain et pourtant si... autre chose. Au contraire de nos archétypes habituels, Gene Wolfe propose ici un Sévérian plein de doutes, torturé par son passé, à la personnalité complexe, oscillant entre le bien et le mal et ne répondant à aucun stéréotype tant il est tout et rien à la fois.
Le style de l'auteur lui-même parait un puit sans fond ; il nous balade entre les chapitres d'une façon élégante, imprévisible, changeante, se promenant tantôt sur le genre romanesque, puis sur du pittoresque en passant par des situations de batailles, de conspirations ou d'intrigues. Cette variété demeure au fil des pages intense, passionnante, en fait.

Ce roman, cette œuvre, transcende le lecteur, nous porte sur d'autres rivages inexplorés, nous invite à un voyage inégalé, le tout dans un cadre presque idyllique : Teur, cette planète morte où la violence pourtant se marie à la beauté. Une planète autrefois élogieuse mais aujourd'hui condamné à la destruction, puisque son soleil se meurt. Sa science s'efface, sa technologie emplit des grimoires maintenant oubliés, ses principales ressources se tarissent... un monde plongé dans sa splendeur passé, un monde plongé dans ses ombres.
Deux milles pages côtoyant sans cesse l'excellence, primée aux plus grands concours britanniques, foisonnantes de détails, de rêves.

Note finale : 9/10

Sahagiel

 

Autre critique personnelle :

Dès la première phrase, impossible de ne pas être frappé par l'écriture de Gene Wolf. Assurément, son style est un style de haut niveau, parsemé d'un vocabulaire d'une grande richesse et de phrases à la tournure travaillée ; cependant il est clair également que cela ne peut pas plaire à tout le monde.
Si certains se laisseront certainement enchanter par cette écriture, il en sera certainement d'autres, dont je fais partie, pour la trouver exagérée en tout. Ainsi, les successions de phrases interminables tendent à dépourvoir le texte de tout rythme, ce qui le rend uniforme et peut endormir le lecteur. De même, on pourra soit s'éblouir devant le pouvoir d'introspection du roman, dans les passages où le héros passe des dizaines de pages à s'interroger en citant en exemple telle anecdote occupant d'autres dizaines de pages, soit s'endormir face à son manque d'action effective ; à ce stade, on ne peut parler que de perception personnelle à chacun...
De toute façon, l'ombre du bourreau est un roman qui exige de son lecteur un gros effort de concentration et de décryptage, d'une part pour la raison précitée : pour ne pas perdre le fil du sujet et ne pas se demander à un moment ou un autre « Mais on parlait de quoi déjà, au fait ? » ; et d'autre part pour simplement comprendre de quoi il est question.


Le vocabulaire de Gene Wolf, comme il a déjà été dit, est en effet d'un niveau particulièrement élevé. Il n'emploie pas seulement des mots qui n'appartiennent plus à la circulation depuis des dizaines d'années, il utilise également de nombreux termes propres à son univers et donc qu'on ne peut trouver dans le dictionnaire ; jusque là, rien d'anormal, mais là où le bât blesse, c'est quand il ne prend absolument pas la peine de les expliquer (c'est-à-dire tout le temps), même en donnant une vague information telle que la taille de l'objet ou son utilité. Du coup, difficile d'imaginer une représentation visuelle de la scène, difficile donc de la comprendre, et difficile de suivre. Si on s'obstine dans la lecture, à force de les voir on finira par en deviner le sens, mais il n'empêche que les premières centaines de pages se rapprocheront surtout de la torture pour qui aime comprendre son texte en lisant normalement et sans revenir en arrière toutes les deux pages.
L'écriture de Gene Wolf est donc d'une très belle qualité, mais d'une qualité semblable à celle de la littérature française, qu'il faut apprécier ; et donc je vous conseillerais d'essayer avant d'acheter. Je ne le recommande évidemment pas aux gens convaincus qu'un texte doit comporter 80% de dialogues pour être bon, ils seraient déçus :p
Surtout que le premier tome de l'édition présentée en l'occurrence réunit en réalité les trois premiers tomes de la saga connue sous le nom de livre du nouveau soleil, et qu'il est donc particulièrement onéreux, mais si vous aimez ça vaut la peine. (Heureusement que je l'ai loué.)

Pour évoquer ses autres aspects, l'œuvre est dotée d'un univers original et particulièrement travaillé. Ainsi, dans une ambiance à mi-chemin entre la fantasy et la science-fiction, on naviguera sur Teur, planète en lente perdition sous son soleil vieillissant, un monde désenchanté où la violence constitue le lot ordinaire tout en chacun, si percutante, si déshumanisée, et pourtant si belle.
Assurément, avoir construit une société où la torture et la peine de mort, même sur éventuels innocents et par obéissance aveugle aux juges, constitue un pilier central est un moyen de se démarquer des mondes utopistes de bien d'autres écrits ; je mettrais malgré tout le futur lecteur éventuel en garde contre l'ambiance malsaine qui imprègne de ce fait le roman ; si vous avez un bon équilibre mental, vous serez peut-être mal à l'aise ou choqué, mais c'est sûrement bon ; prenez quand même garde de ne pas laisser traîner un tel ouvrage entre n'importe quelles mains, je pense notamment à des mains jeunes qui, de toute façon, ne sauraient apprécier la saveur d'un style aussi complexe que celui de Gene Wolf.
Au fil des pages, de nombreux personnages croiseront, quitteront de manière plus ou moins brutale et parfois croiseront à nouveau le chemin de Sévérian. Chacun de ces protagonistes apparaîtra avec sa personnalité propre, ses mystères et sa mentalité, et on s'ébahira devant le soin avec lequel ils ont été créés et mis en scène. Ils pourront cependant apparaître un peu transparents face aux pensées envahissantes du héros, qui tendent à prendre toute la place en écartant les autres... Héros d'ailleurs qu'on peut, comme le reste, apprécier ou non, tout il est pourvu d'une personnalité difficile à cerner qui peut le faire apparaître, selon les opinions, comme un absolu d'Humanité ou un Néant universel ; il semble en effet dépourvu de convictions à défendre, fait des erreurs qu'il semble regretter amèrement et qui pourtant, sur le moment, ne paraissaient guère tenir à une conviction quelconque, en fait on peut le considérer comme un héros ou un lâche, comme un être torturé ou un être fade, là encore ce sera une question de point de vue j'imagine...
Quant à l'intrigue, elle se fait hésitante et tardive mais on peut attribuer cela au fait que ce roman est présenté comme les mémoires de Sévérian, or la vie de la plupart des hommes est bien peu prévisible et il est donc difficile, voire impossible de proposer dans telles conditions un véritable scénario suivi, dont on attendrait le but final avec impatience. Excusé, donc.

En conclusion, l'ombre du bourreau est probablement une œuvre à double tranchant, capable de séduire ou non, mais dans tous les cas son style et son univers ne peuvent laisser personne indifférent tant ils se distinguent de la production habituelle. Pour ma part, j'avoue n'y avoir trouvé ni la fibre aventureuse et mystique d'un Tolkien, ni la poésie lyrique d'une Ursula Le Guin ; les personnages comme l'intrigue ne m'auront guère marquée. Il en est cependant d'autres, certainement, qui ressortiront transfigurés après avoir rencontré cet ouvrage hors du commun.

Note finale : --/10

Sherryn