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Terremer

 

TerremerAuteur : Ursula Leguin (voir sa biographie)

Genre : Fantasy

Résumé de la trilogie :

Ici, il y a des dragons.
Et là où il y a des dragons, il y a des enchanteurs, une mer immense et des îles.
Mais le monde de Terremer n'est pas un univers conventionnel de fantasy. Il n'appartient ni à notre passé ni à notre avenir. Il est ailleurs. C'est un univers où la magie fonctionne et s'enseigne comme la science et la technologie dans le nôtre.

Terremer contient trois livres : Le Sorcier de Terremer raconte l'initiation de Ged en l'île de Roke et comment il devient un sorcier convenable capable de commander aux éléments et d'affronter les dragons, et aussi comment son audace faillit le perdre. Les Tombeaux d'Atuan évoquent la terrible histoire de la petite fille, Tenar, choisie pour devenir la Grande Prêtresse des Tombeaux, qui haïra Ged et finira par combattre avec lui l'emprise des Innomables. Et enfin L'Ultime Rivage, où le pouvoir des sorciers sera soumis à celui du temps, le grand rongeur.

 

Titre des romans composants le cycle:

1- Le Sorcier de Terremer
2- Les Tombeaux d'Atuan
3- L'Ultime Rivage

Critique personnelle du cycle :

Parfois, à un moment de platitude littéraire, quand l'imagination semble s'essouffler, quand le genre lui-même paraît se tasser, surgit un roman qui, d'une habilité subtile, va redresser l'honneur chancelant de la fantasy. Ces livres sont rares, mais Terremer en fait incontestablement partie. Car ce cycle d'Ursula Leguin, construit comme une trilogie, nous amène au-delà d'un simple exercice de style : il franchit les limites du talent, s'aventure jusqu'au confins du genre, puis revient nous porter ses découvertes, vainqueur sur tous les plans. Mes propos ne se réduisent pas à un dithyrambe, à une pulsion glorificatrice ; non, cette trilogie m'a saisie d'une manière inspirée, ne me piquant pas pour son action où son scénario, mais pour son ensemble, cohérent, profond, doté d'un magnétisme remarquable ne souffrant d'aucune dyspnée.

En premier lieu, c'est tout un univers qui s'ouvre aux lecteurs : un monde magique dont personne, à l'exception des dragons, ne pourrait supputer les frontières. Pays de mystères et de poésie, Terremer se dévoile peu à peu, ménageant son effet comme pour séduire ses visiteurs. Et justement, je serai bien surpris qu'un seul lecteur parvienne à identifier une erreur de narration, tant Ursula Leguin bâtit son univers avec soin, se jouant des défauts. Le traitement de la cosmogonie, tout simplement, prouve à quel point l'imagination de l'auteur peut porter loin. En effet, en Terremer, les personnages disposent d'un nom véritable qu'ils doivent dissimuler pour préserver l'intégrité de leur esprit, mais surtout possèdent une magie complexe, celle-ci reposant sur la connaissance du Langage Ancien. Cet idiome, enseigné aux magiciens et connus par les dragons, réunit en ses mots l'essence de chaque chose, une genèse de l'histoire et de l'expérience du monde.

Pourtant, ce cadre idyllique ne se décline pas à l'infini : l'auteur fait le choix de parfois demeurer dans le flou ; par volonté ou simple désir, difficile à savoir, mais à en juger cette histoire transpirante de souvenirs, c'est la finesse qui la retient. Par glissements successifs, elle aborde ainsi de multiples thèmes tout en maîtrisant sa plume pour nous offrir un récit ni trop charger, ni trop alléger, un juste milieu trop souvent oublié par les auteurs contemporains. Pourquoi dépeindre un monde à outrance si c'est pour au final empêcher les lecteurs d'imaginer, de combler les vides par ses rêves ? Ursula Leguin l'a compris et alterne ainsi les phases explicatives, afin de développer son talent, et les moments propices au repos, à la réflexion, à l'imaginaire. Quand le récit s'apaise, une brume de poésie se tisse ainsi entre l'œuvre et le lecteur, de façon à ourdir les files de leurs vies. Son monde en ressort grandi, intense, humain, attachant. A même d'inventer une société aux valeurs très différentes des nôtres, l'écrivain échelonne ainsi les jalons de son œuvre, laquelle propose aussi bien d'autres attraits, tels ses personnages à la psychologie étonnante de réalisme.

Les protagonistes exposent quant à eux les multiples facettes de leur personnalité ; tantôt admirable par leur courage, leur transparence, leur humanité ou leurs doutes, ils évoluent sur ces terres riches, ne se façonnant que rarement sur des archétypes pour embellir la lecture. Le récit se déroulant à chaque fois sur plusieurs années, on peut ainsi apprécier les spécificités de chacun : là où Ged paraissait imbu de sa personne une fois atteinte Roke, un terrible malheur va le pousser aux marges de la mort, l'affaiblir, lui arracher une part de son âme pour ne laisser de lui qu'une enveloppe assez peureuse. Dés lors, on assistera à la reconstruction mentale et physique de cet homme touché par le mal, contraint à affronter sa propre ombre. A cette occasion, de nombreux cannons de la fantasy sont mis à bas, notamment les critères de puissance et de beauté du héros, tourner en dérision par les errances de Ged, malgré son incontestable force psychique. Peut-être l'auteur a-t-elle voulu créer un héros proche de nous, sur certains plans, auquel nous pourrions plus aisément nous identifier ? Les thèmes de ce roman relèvent eux aussi d'un schéma peu traditionnel en fantasy, sans cesse nuancé, voire contrebalancé par le relativisme de l'auteur, et notamment son talent pour renverser nos acquis et tout remettre en question. La toile de fond de ce livre aborde ainsi des sujets plus intelligents, loin du manichéisme tranché de certaines productions, comme la magie des choses, des êtres, des vies, le combat contre soi et l'acceptation d'un individu dans son entier, quelque soit ses penchants les plus sombres…

Ursula Leguin nous propose ainsi une aventure unique, dont les férus de guerre, de violence et de brutalité ne sauraient se satisfaire. Néanmoins, tout autre lecteur, avide de découvrir un monde magique, travaillé avec soin et d'une grande qualité, seront transporté par ce récit. Voici une trilogie méritant de siéger aux côtés des plus grands sur votre bibliothèque, un classique du genre qu'il ne sera aisé de détrôner.

 

Note finale : 8,5/10

Sahagiel