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Les Chroniques de Durdane

 

Les Chroniques de Durdane Titre : Les Chroniques de Durdane

Auteur : Jack Vance (voir sa biographie)

Genre : Space Opéra

Résumé du cycle :

" Sur la planète Durdane existe un ensemble de communautés disparates, le Shant, sur lequel règne l'Anome, aussi surnommé l'Homme sans Visage. Dans cette région, chaque femme, chaque homme se voit équipé d'un torque explosif que l'Anome peut faire détoner à tout moment. La terreur qu'inspire ce juge et bourreau a maintenu la paix pendant des décennies. Mais voilà que débarquent d'on ne sait où les Rogushkoïs, de féroces créatures humanoïdes qui massacrent les hommes et s'accouplent avec les femmes. Et contre lesquelles l'Anome ne prend aucune mesure particulière.

Parce que les Rogushkoïs ont tué sa mère, le jeune Etzwane se jure de découvrir l'identité de l'Homme sans Visage et de mettre un terme à son règne. Bientôt tous les secrets de Durdane tomberont aux pieds du jeune homme, brisés comme des jouets trop fragiles. Et il sera bien obligé de comprendre que le prix de la responsabilité est parfois exorbitant. "

Critique personnelle du cycle :

Jack Vance n'a plus rien à prouver : son style tantôt lyrique, tantôt pointu ou burlesque contribue à étoffer son talent. Une nouvelle fois, nous plongeons sans peine dans son univers, découvrant, analysant, apprenant au fil des pages avec un plaisir toujours aussi intense.

Ce cycle de science fiction se distingue avant tout par sa richesse. Le monde décrit par l'auteur s'avère cohérent, construit dans ses moindres détails tout en s'assurant un soupçon sibyllin. Le grand art de Jack Vance demeure sa capacité à produire des cultures, des coutumes, des façons d'être et de penser : il s'attache à étayer les moeurs de Durdane, la vêture et les croyances de ses habitants, sans écarter leurs pratiques culinaires, la symbolique des couleurs, des coutumes locales ou cette société codifiée. Autant le dire, vous serez dépaysés, sinon émerveillés, par ce monde !
Le principe de base lui-même ravira bien des lecteurs : le Shant est un continent divisé en multiples cantons, tous soumis au jugement impartial de l'Anome. Cet homme dont personne ne connait l'identité possède le pouvoir de décapiter tout contrevenant aux règles. Comment me direz vous ? En déclenchant le mécanisme d'explosion des torques, ce collier fixé au cou de chaque habitant du Shant dès son adolescence. Un principe qui présage nombre d'ouvertures, à n'en pas douter.
Par ailleurs, la science se met au service du récit ; Jack Vance ne délaie pas ses discours, mais suggère un univers futuriste où la technologie la plus avancée côtoie l'archaïsme (quoique, l'idée d'installer des rails pour guider les dirigeables à travers le pays révèle une certaine dose d'inventivité). Dans ce contexte, on se place alors aux côtés du héros, ou plutôt anti-héros, Etzwane, qui absorbe peu à peu ce savoir. Car l'immersion dans le récit se fait avec naturel : l'auteur ne nous abandonne pas sur les récifs de Durdane pour ne plus nous instruire, non, il nourrit notre curiosité, alimente ce désir de comprendre.

Etzwane, à lui seul, constitue un pilier du roman. Jack Vance aime inventer des personnages distants, perdus dans un univers où ils ne se sentent pas à leur place. Il joue avec eux en les confrontant à des dilemmes, en faisant reposer sur leurs épaules les contraintes diplomatiques, sociales et économiques de toute une société. De fait, Etzwane se révèle morose, atrabilaire ou prompt au cynisme si on contrecarre ses aspirations. Sans cesse déchiré entre ses aspirations individuelles et les contraintes de la société dans laquelle il vit, nous apprécions un homme aux facettes multiples : sombre, quelque peu ronchonne mais non dénuée d'intelligence, sa personnalité égayera votre lecture, assurément.
À ses côtés orbite une pléthore de protagonistes dont Jack Vance étayera les idéaux avec une grande attention. Ce traitement soigné des personnages à de quoi ravir, à une époque où la psychologie semble remisée par les auteurs (pour certains !). Ainsi, leurs destinés s'imbriquent malgré elles et ils s'entraideront parfois de mauvaise grâce, ressassant d'anciennes trahisons, couvant en eux la colère, la jalousie, l'ironie. Ils entreprennent une quête à but didactique, quand il ne s'agit pas de préserver la pérennité de leur monde, mais demeurent jusqu'au bout humains : soumis aux sentiments les plus anachroniques, ils subiront les fourches de la vie, des embûches parfois causées par des rencontres tout à fait anodines. Et à nouveau, la plume de l'auteur se dessine derrière leurs destinés : comme s'il prenait un malin plaisir à retracer leur existence éclaboussée par l'aventure, il développe des personnages désabusés par les épreuves ; des hommes au final savoureux, innovant, intriguant.

L'intrigue, parlons en un peu ! Gastel Etzwane éprouve très jeune le désir intense de parcourir le monde, de s'extraire de son carcan, de connaître une existence qui ne lui sera pas imposée par la société. Or cette aspiration le guidera sur des chemins toujours plus surprenants, jusqu'à connaître une destinée somme toute extraordinaire. Si ce résumé semble de prime abord convenu, rassurez-vous car sa mise en scène s'avère tout sauf revue. Les poncifs s'écartent pour laisser place à un mariage entre l'imaginaire et le talent. Ne souffrant d'aucun temps mort, le scénario s'annonce huilé dans ses moindres détails tandis que l'auteur le conduit d'une main de maître ! Il alterne ainsi moments de tensions et de repos, d'explications et d'actions... Les atermoiements n'auront guère leur place ici.

Si les deux premiers tomes nous enferrent dans une confrontation épique, celle-ci opposant les Rogushkoïs, des créatures prenant plaisir à copuler avec les femmes et à ravager le Shant, aux habitants déconcertés, l'ultime tome met plus l'accent sur la technologie et lz space opéra. Ce mélange d'ambiances satisfera ainsi une part conséquente des lecteurs, puisque tout évolue, change, s'entrecroise ou disparaît. Néanmoins, je ne saurai taire la fin en demie-teinte : l'apothéose du premier tome renforce l'impression d'inachevé, d'essoufflement ressenti avec Asutra! ; dommage, certes, mais pas assez pour juguler le charme du cycle, que je prendrai toujours plaisir à redécouvrir !

Note finale : 8,5/10

Sahagiel