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Le Secret de Térabithia

 

Titre Original : Bridge to Terabithia

Réalisé par : Gabor Csupo

Avec: Hosh Hutcherson, Annasophia Robb, Robert Patrick, Zooey Deschanel

Genre : Fantastique, Famille, Action, Drame.

Durée : 1 h 34min.

Année de production : 2007

Film américain.

Synopsis :

Jess, un garçon issu d'une modeste famille nombreuse et Leslie, fille unique d'un couple d'écrivains, s'inventent un monde imaginaire, Térabithia, pour fuir la réalité de leur vie quotidienne... Mais lorsque cet univers magique prend vie, ils se retrouvent confrontés à des aventures plus périlleuses que ce qu'ils avaient pu imaginer.

Critique personnelle du film :

Le réalisme se fond au fantasmagorique avec une authenticité inouïe

Personne ne l'ignore, les adaptations de fantasy ont le vent en poupe ces derniers temps, surtout depuis le succès incontesté du Seigneur des Anneaux, et celui plus controversé d'Eragon, dernière sortie marquante de 2006. Saisissant le filon à deux mains, Walt Disney réopère donc son association avec le studio Walden Media, connu notamment pour son travail sur Le Monde de Narnia. Cette équipe en charge du film présageait ainsi de bonnes choses, avec peut-être un goût de déjà-vu malgré sa réelle innovation.

Avant de se lancer gaiement dans le vif du sujet, à savoir la critique du film, il me semble nécessaire de revenir un instant sur l'œuvre de Katherine Paterson, devenue best-seller suite à sa parution aux Etats-Unis et en France sous le titre Le Royaume de la Rivière. L'une des auteurs les plus prolifique côté outre-Manche, ses ouvrages ont souvent connu un succès notable, avec des traductions en plusieurs langues et leur couronnement par de multiples prix, dont nous retiendrons le Prix Hans Christian Andersen pour l'ensemble de ses écrits. Le Secret de Terabithia n'est quant à lui pas en reste, puisqu'il propulse une nouvelle fois son auteur en haut du piédestal, lui permettant de recevoir en 1978 la Newbury Medal du Meilleur Livre Jeunesse. Petite anecdote : l'auteur du scénario n'est autre que son fils, David Paterson, visiblement avide d'aviver la flamme chancelante de cette œuvre...

Les présentations faites, notons que ce film était le premier en prise de vue réelle de son réalisateur, Gabor Csupo, surtout connu pour ses animations sur les célèbres Razmoket ou la Famille Delajungle. Cet homme d'origine hongroise se lançait donc un nouveau défi, celui d'insuffler la vie à un roman fantaisiste, de parvenir à rendre crédibles, vivants, ses personnages et son univers.
Quoi de plus beau en effet que s'immiscer dans une dimension abstraite, où le rêve se mêle à l'imaginaire afin de nous transporter ailleurs, sans destination précise, si ce n'est celle du simple émerveillement ? Aujourd'hui, les individus réclament de l'évasion, se révèlent insatiables, voire exigeants envers les professionnels : l'erreur n'est plus une option. Bien loin de l'époque où quelques effets spéciaux ravissaient le public, il faut maintenant conquérir un nouveau marché, mettre en place des prouesses technologiques, frôler le paroxysme de crédibilité pour arracher un simple sourire. La fantasy semble une industrie porteuse, mais encore faut-il parvenir à la modeler, à se l'approprier sous toutes ses formes. Pari réussi ?

Oui, Le Secret de Térabithia est un énième film destiné à la jeunesse ; mettant en scène deux jeunes adolescents en manque d'aventures, il nous plonge dans leurs quêtes de rêves, une recherche depuis longtemps consommée par les studios cinéma, comme le démontre Narnia et son armoire magique. Où se trouve l'innovation, me direz-vous. Tout simplement dans le concept du film. Au contraire du Monde de Narnia, Jess et Leslie, brillamment incarnés par Josh Hutcherson, le garçon aventurier de Zathura, et Annasophia Robb, l'insupportable mâcheuse de chewing-gum de Charlie et la chocolaterie, ne passent pas d'un monde à l'autre, ils créent eux-mêmes leur dimension, leur bulle, leur sanctuaire : " Térabithia est un monde issu du plus pur imaginaire. C'est un univers sans limites, où tout est possible. Ce n'est pas seulement un endroit où les deux enfants sont les maîtres. C'est un lieu qui les aide à échapper aux problèmes qui les touchent, un sanctuaire où ils peuvent prendre du recul. Leslie et Jess se sentent exclus aussi bien à l'école qu'au sein de leurs familles respectives. Même si Térabithia est un refuge, il ne leur évite pas d'affronter ce qui les affecte : ce monde est également une métaphore de l'amitié qui les unit, un moyen pour eux de se renvoyer leurs sentiments et leur amitié au travers d'un imaginaire qu'ils partagent. Le pont est aussi chargé de symboles, c'est un passage, une façon de dire que l'imaginaire peut aussi avoir un vrai impact sur le réel. Tout ce que l'on imagine existe. " comme l'expliquait fort bien le réalisateur.
On suit donc leurs pérégrinations, leurs errances de tous les jours où la seule évasion consiste à s'inventer une autre vie. Le contexte familiale des deux adolescents titille lui aussi le spectateur : Jess est issu d'une famille aux revenus modestes, vision maussade d'un environnement conflictuel, et Leslie d'une famille aisée, fille de deux écrivains qui lui transmettront cet amour de l'imaginaire, cette joie de vivre si communicative chez elle. Les deux adolescents en viennent à se côtoyer, et c'est ensemble qu'ils poursuivront leurs déboires, Leslie invitant son nouvel ami dans sa bulle, bulle qui tissera bientôt la toile de leurs vies, loin des bravades, des railleries, des invectives, et bien plus.

Si le synopsis du film, les bandes annonces, les affiches, promettaient un film riche en action, il en est tout autrement ici. Les péripéties survoltées ne sont pas le point d'orgue de cette œuvre : son unique but réside dans son message, surprenant par sa justesse, sa pugnacité et son incroyable réalisme. On ne ressort pas indemne de ce monde fertile, on y reçoit une leçon de vie, sans doute difficile à accepter mais ô combien enrichissante. L'écho amer de ce film résonne sans fausse note, si cruelle dans sa clarté qu'on en vient à pleurer son existence. Quand le rêve s'effondre, quand le voyage ne comporte plus de retour, quand le quotidien reprend ses droits, on saisit la dure réalité et on atteint la quintessence de l'émotion. La parabole du film pourrait se résumer en ces points : amitié, imaginaire, tristesse. Loin de se rétrécir au mélodramatique, les thèmes qu'aborde le film touchent tout un chacun par leur universalité : mal de vivre, lassitude, besoin, mort, tous sont traités avec un soin particulier, abordés avec une pertinence prenante, au point de dépasser le stade embryonnaire de l'émotion. Le réalisme se fond au fantasmagorique avec une authenticité inouïe. Alors que le film s'attardait volontairement sur l'amitié touchante des deux héros, un événement fera office de couperet, et aussitôt nous pénétrerons dans une autre dimension, celle du deuil où la portée du film s'étendra jusqu'à englober chaque spectateur, à un niveau plus ou moins puissant. Les traits psychologiques peuvent paraître sommaires, mais il fallait oser affronter le sujet du deuil d'un proche trop tôt disparu sans périphrase, sans détour, sans volonté d'amoindrir la douleur ou la peine ressentie. Et pour cet effort, ce film reçoit déjà mes plus humbles remerciements.

Cette capacité de résonance incroyable, on la doit aussi aux talents des acteurs : les deux adolescents sont crédibles, étoffent leurs personnages avec une pincée de naïveté du plus bel alois, Robert Patrick, le terrible père de Jess, se radoucit au fil des scènes en apportant à son rôle un réalisme saisissant, nous sommes alors bien loin des exactions du T1000..., en bref, la conviction de ses acteurs, leur entrain à participer au succès du film, nous projettent ailleurs... On affronte leurs angoisses, on rit, on pleure, on espère, on frissonne et la fin venue, on réfléchit. Et si, à trop imaginer, on perdait le fil de nos vies ? Il faudrait donc rêver pour échapper à la monotonie de nos vies, mais ne jamais perdre de vue le sens du réel, poser des limites à l'imaginaire et à notre envie d'évasion ? Que penser quand la fragilité de l'onirisme se brise pour céder le pas à la mort, approchée sans détour ? Cruelle réflexion...

L'ensemble est quant à lui alimenté par des effets spéciaux soignés, sans grande envolée technologique mais qui se découpent correctement dans le film. Bien que les scènes riches en animations soient courtes, assez diffuses, elles satisferont amplement les jeunes spectateurs, repus par la fin splendide et les créatures inédites, tandis que leurs parents s'attacheront eux à la profondeur du message. Gabor Csupo, fera d'ailleurs appel au dessinateur russe Dima Marlinchea pour l'aider à modéliser son bestiaire "Je ne voulais pas des clichés habituels du bestiaire fantastique. Je souhaitais quelque chose qui ressemble plus aux créatures que l'on peut trouver dans les films de Ridley Scott et Terry Gilliam, deux réalisateurs qui m'ont influencé. Dima a alors fait quelques dessins d'où sont nés tous ces êtres magiques. J'adore surprendre le public avec des personnages qui sortent de l'ordinaire. On ne peut pas tricher avec les enfants, ils ont besoin de voir quelque chose de complètement nouveau "

Ainsi, on ne peut guère s'ennuyer durant la projection, certains trouveront l'épopée naïve, une fable des plus aseptisées, mais j'y verrais un grand film qui derrière ses apparences fantastiques dévoile un message, défait peu à peu nos acquis, et nous confronte à la réalité...

 

Les plus

- L'humaniste, l'âme du film
- Son message
- Les effets spéciaux qui charmeront les adolescents

Les moins

- Quelques longueurs
- Fait le choix de favoriser le réalisme au fantastique. A réserver à un public averti.
- Un univers sociodramatique un peu trop cliché.

Note finale : 3/5

Sahagiel