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Annale du Disque-Monde

Tome 1 - Tome 2

Le père Porcher Titre : Le père Porcher

Auteur : Terry Pratchett (voir sa biographie)

Genre : Fantasy

Résumé du premier tome :

Il neige, la ville est décorée, les sapins sont en place, on attend les cadeaux. Il ne manque que le père Porcher et son costume rouge. Mais où est-il ? Kidnappé, en vacances, assassiné ? En attendant, il lui faut un remplaçant : un faux costume, une hotte, une fausse barbe et un traîneau tiré par des cochons sauvages... c'est la Mort qui s'y colle ! Suzanne, sa petite-fille, est surtout préoccupée par les deux enfants dont elle s'occupe et veut retrouver à temps le père Porcher. Les petits voient déjà suffisamment de monstres dans leur propre maison. Mais la Guilde des Assassins a signé un contrat avec d'étranges créatures...

Critique personnelle du tome :

Les Annales du Disque-Monde, une série comptant près de 28 tomes traduits en français, une trentaine du côté outre-manche, parvient à surprendre son lectorat par ses constantes innovations.
Certaines œuvres de la Fantasy restent...oserai-je dire dans les annales ?, grâce à leurs personnages, leurs monde travaillé, l'audace de leur plume ou la cosmogonie inhérente à leurs écrits. D'autres se propulsent au sommet de leur art avec humour, fraîcheur et une incontestable hardiesse. Bien qu'il soit toujours difficile de classifier le merveilleux, on pourrait glisser cette série dans le second groupe, même si la richesse de ses tomes ne se limite pas à une simple balade humoristique.

Cette fois, l'imagination ubuesque de l'auteur nous conduit à la veille des fêtes, dans une ambiance légère et familiale. Mais si certaines pistes, certains rituels, peuvent nous sembler familiers, l'ensemble affleure un tout autre univers. Certes, des personnages comme le père Porcher nous évoque immanquablement le père noël, avec sa tenue rouge, sa hotte emplie de cadeaux, ce Ho Ho Ho caractéristique, l'impatience qu'il instille chez les enfants... mais entre les mains de la Mort, les événements s'emballent ! Le lecteur se voit donc constamment hélé, en éveil d'un indice ou d'une piste à flairer parmi l'abondance de péripéties. Plus que de l'action, on traverse ici une série de sketches, à l'humour plus ou moins inspiré, qui rythment le livre comme autant de contrecoups. Parfois grivoises, nappées d'ironie, de subtilités ou savoureuses, les touches humoristiques ne manqueront pas de dérider le plus impassible des lecteurs.

Les personnages sont quant à eux légions, les calembours flots de guerriers, le tout déferlant au fil des pages dans un éclat de fraîcheur. Glissant avec habilité, la plume de l'auteur déverse ainsi de nouvelles idées, plus bouillantes au fur et à mesure que la fin se profile. Les réponses affluent de la sorte à un débit mesuré, ni trop vif, ni trop long, afin de mobiliser parfaitement le lecteur. Celui-ci n'a d'ailleurs de cesse de savourer le récit, si bien qu'il est difficile d'émerger le temps d'une pause. Ce tome se lit donc d'une traite, en dépit des longueurs émaillant de ci de là la lecture, et la dernière ligne atteinte, on sourit encore de la verve des personnages. Outre les désormais cultes Suzanne Sto Helit, Mort aux Rats ou divers Mages de l'Université de l'Invisible, on fait la connaissance de certaines perles, comme Lheureduthé ou Bilieux, pour ne citer qu'eux. Si le premier s'exprime avec ironie, assurance et un rien de mépris, le second attire tout de suite la sympathie des lecteurs. Autour d'eux gravitent de multiples personnages secondaires, d'aucun étant sous-exploité, aussi c'est avec beaucoup de joie qu'on découvre le gnome Verrue, l'excellent corbeau, ou la Fée Bonne Humeur. Avouez... vous ne doutiez pas de leurs existences, n'est-ce pas ?

Toutefois, au-delà de ces qualités et défauts, on retient également du livre un message. Derrière cette légèreté se cache une véritable réflexion sur le devenir des croyances, leurs dégradations et leurs pertes de sens progressives, mais toujours sous couvert d'humour noir. A ce titre, la Mort se tourne en philosophe, puis se charge de porter à nos yeux ce « désenchantement ». En fin de compte, on doit avouer que cette société matérialiste comporte bien peu de rêves et d'éléments féeriques une fois la majorité atteinte. Il n'y a bien plus que les enfants pour faire vivre ces traditions, et encore...

Terry Pratchett signe encore une fois un roman de bonne qualité, fourmillant d'innovations et d'un humour toujours apte à nous égayer. Le seul bémol qu'on pourrait retenir aux composantes des Annales du Disque-monde, en fait, serait les longueurs ou le risque d'overdose si on se met en tête de lire le cycle sans interruptions. Pour tous les autres, le père Porcher est une invitation à la détente et à l'amusement.

Note finale : 8/10

Sahagiel

 

 

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Mortimer Titre : Mortimer

Résumé du tome :

Morty traverse les champs en courant ; il mouline des bras et s'égosille comme un beau diable. Non. Même ça, même effrayer les oiseaux pillards, il n'est pas fichu de s'en tirer proprement. Son père, au désespoir, l'observe depuis le muret de pierres. "Il manque pas de coeur, fait-il à l'oncle Hamesh. - Ah, dame, c'est le reste qu'il a pas." Et pourtant un destin hors du commun attend Mortimer. Car à la foire à l'embauche, LA MORT l'emporte sur son cheval Bigadin. Il faut dire que LA MORT a décidé de faire la vie ; et l'assistance d'un commis dans son labeur quotidien lui permettrait des loisirs. Mais... est-ce bien raisonnable ? Avec, comme toujours, un scénario qui décoiffe, une distribution prestigieuse et, peut-être, peut-être, une exceptionnelle apparition de l'illustre Rincevent.

Critique personnelle du tome :

Ah, quel bonheur sans cesse renouvelé de plonger dans ces annales ! Non que l'auteur parvienne à nous immerger dans un univers structuré, merveilleux et original, mais il assèche notre curiosité par son humour, les tournures mielleuses de ses comparaisons et l'audace de sa plume. Là où certains livres se contenteraient d'un humour plat, sans rondeurs ni subtilités, on obtient ici un éventail très varié de sketches : outre les jeux de mots, on savoure ainsi les métaphores saugrenues et les allusions retorses, les quiproquos et les jeux de scènes, les procédés de style et les rebondissements grandiloquents... tout contribue à la qualité du roman.

L'ensemble est bien entendu servi par une intrigue palpitante, parfois à ce point délirante qu'on en perdrait presque le fil, saupoudré par des protagonistes attachants et drôles sans parfois le souhaiter. Le plus bel exemple demeure Mortimer, le héros de ce roman, qui devient presque malgré lui apprenti de la Mort. A travers cet apprentissage hors du commun, il entreprend d'exécuter son travail, s'employant à toutes les manies de la Mort pour lui libérer du temps libre. Le garçon trop emprunt au sentimentalisme s'embourbe alors dans ses tâches et met en péril l'équilibre du Disque. Autour de lui gravitent des personnages intéressants, tels Ysabelle, la fille de la Mort, Coupefin, l'improbable Mage, et la princesse Kéli. Tous démontrent une psychologie au premier abord anodine ou prêtant à sourire, mais en réalité travaillée avec soin ; certes, on n'obtient pas la profondeur caractérielle propre à une Robin Hobb, mais certains personnages se tournent en pédagogues, ou en réceptacles aux émotions humaines. On les suit durant leurs tribulations puis on surprend leurs évolutions, notamment dans le cas de Morty qui passe du campagnard stéréotypé à un garçon certes gourd mais déterminé.

Dans la plupart des romans de Terry Pratchett, un message se dissimule derrière l'humour ; cette fois ci, il ne s'agit pas de souligner le caractère matérialiste des festivités ou la perte de sens des traditions : Pratchett s'attaque à la difficulté de l'histoire, et des conséquences si on en modifiait une variable. Pour une personne, sauver la vie d'un individu impulsivement, par grandeur d'âme ou conviction, peut sembler un acte charitable. Mais si cette même personne, en vivant, plongeait le monde dans le marasme, si en mourant, elle amenait son royaume dans une période de grande prospérité ? Voilà le dilemme mis en avant par l'auteur, et on se prend aux rouages de cette question ; qui n'a jamais songé à modifier le passé, sans prendre en considération les conséquences ? Qui n'a jamais imaginé le monde sans ses grands dictateurs ? L'expérience de ces modifications pourrait bouleverser la structure de notre monde sur le long terme, et c'est ce handicap que Terry Pratchett dénonce. Sous couvert d'humour, il guide nos consciences vers la réflexion, pour nous amener à formuler nos propres conclusions ; or quand nous détenons un livre à la fois plaisant, bien écrit et détenteur d'un message réel, le plaisir n'est que plus intense durant la lecture.

Car Terry Pratchett se distingue aussi par sa plume efficace, qui glisse avec beaucoup de personnalité sur le papier. On reconnaît son style dès les premiers mots, son sens du rythme et son talent pour créer une ambiance, peinture d'un univers aussi personnel qu'étonnant. Son audace si fertile ne laissera personne indifférent, surtout si vous recherchez un roman solidement charpenté pour affronter toutes les averses, toutes les critiques et les objurgations. Mais en a-t-il réellement besoin ?

Note finale : 8/10

Sahagiel