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Au-delà de l'Oraison

 

La Langue du SilenceAuteur : Samantha Bailly (voir son interview )

Genre : Fantasy

Titre : La Langue du Silence

Résumé :

Mylianne Manérian est une jeune fille sans histoire. Alors pourquoi est-elle retrouvée morte dans une ruelle lugubre ? De l’avis général, c’est l’œuvre des clans, ces rebelles qui menacent la paix du royaume. Les deux sœurs de la défunte, Aileen et Noony, ne se satisfont pourtant pas de cette explication. Aileen, envahie par la haine, est prête à tout pour venger sa cadette au risque de se trouver mêlée à des intrigues qui la dépasse. Noony, quant à elle, se révolte en apprenant que leur royaume projette d’envahir Rouge-Terre, un continent voisin, quitte à faire des milliers de victimes. Au milieu de l’indifférence générale – la mort est une généreuse source de revenus – les deux sœurs vont tenter de stopper les conflits et de révéler au grand jour les manipulations de leurs dirigeants.

Critique personnelle :

Récente maison d’édition, Mille Saisons a fait le pari de promouvoir de jeunes auteurs francophones. Après M. H Essling ou Gabriel Feraud, nous découvrons ainsi une nouvelle plume sur la scène fantasy : Samantha Bailly. La quatrième de couverture rappelle un scénario plutôt axé sur la jeunesse, pourtant une noirceur semble l’envelopper, signe de nuances ou tentatives infructueuses ? C’est donc avec intérêt que je parcourais ces pages…

Dans un premier temps, notons la structure intéressante du récit. En réalité, ce sont deux intrigues que nous suivons, chacune mettant en avant l’une des sœurs et les personnages qui orbitent autour d’elle. Dans la même optique, l’auteur présente plusieurs continents, tous liés par un sombre passé : d’Heldérion, riche territoire où gouverne l’Astracan, figure religieuse et autoritaire, au royaume Thyrane, aux prises avec les rebelles qui tentent d’expulser leurs envahisseurs, ce sont autant de cultures que nous découvrons. Tantôt cossu et fleuri, tantôt gangréné par la pauvreté et la violence, cet univers s’avérera riche et bien construit.
Ainsi, plutôt que créer un récit convenu, même si là encore il s’agira de sauver un monde, Samantha Bailly joue sur les subtilités : pour contrecarrer la pointe de manichéisme de son scénario, elle varie les points de vue. Or rares sont les personnages qui n’oscillent pas dans les tons de gris ! Chaque groupe défend ses propres idéaux, terme non anodin vu la prépondérance de la religion dans cet univers, qui dictent aussi bien leurs comportements que leurs façons de penser, parfois cruelles et arbitraires. Le choc des cultures, oserons-nous dire des civilisations ? s’enracine d’ores et déjà, et explosera sans doute au second tome !

Par ailleurs, notons le système cosmogonique décrit à travers les chapitres. Certes, nous n’apprenons pas encore toutes ses subtilités, et ne doutons pas que l’auteur reviendra dessus par la suite, toutefois la « magie » s’avère soignée jusqu’aux détails, organisée et, surtout, portée par un vrai scénario. L’oraison ne sert pas d’agrément mais de véritable point de soudure entre toutes les intrigues. Elle se dévoile peu à peu, parfum qui distille ses arômes, avoue ses points d’ombres et spécificités, pas toujours enviables ni glorificatrices. On sent à chaque page combien Samantha Bailly a travaillé cette facette, et quand nous les découvrons, difficile de demeurer insensible. Prenons un rapide exemple : les oraisonniers, sortes de prêtres chargés d’assister les victimes pendant leurs deuils, prélèvent dans chaque cadavre une substance « magique », la résuadine. Et si les populations y voient un résidu de l’âme, d’autres s’en servent pour leurs propres expériences, faisant de la mort un commerce macabre et lucratif. La frontière entre idiomes et réalité est souvent mince, et il sera d’autant plus intéressant de la parcourir.

Voilà donc un roman étonnant, et qui marque rapidement des points. Samantha Bailly ne cherche pas à surprendre ni à bouleverser le genre, certes, mais elle nourrit l’imaginaire, créant de nouvelles variables, notamment des personnages dont on retient la variété et l’humanité.
Car nous touchons là le point fort du tome : l’écrivain mobilise nombre d’avatars, et se tourne en fine connaisseuse de la nature humaine. Elle présente une kyrielle de personnalités, toutes distinctes et attachantes, y compris quand elles croulent sous les défauts ! Car ne nous y trompons pas : les protagonistes paraitront à bien des égards naturels, soumis aux tourments et aux doutes, et évolueront tout au long du récit. Bien sûr, la candeur des héroïnes, du moins au début du roman, pourrait en agacer certains, de même que quelques thèmes typiquement féminins (avis aux amateurs d’action effrénée, il faudra faire avec les sentiments amoureux, qui feront presque office de leitmotiv selon les chapitres) : mais est-ce vraiment une faute, quand l’auteur prend soin de parsemer leurs destins d’épreuves et de bouleversements ? En quelque sorte, nous suivons leurs parcours et apprécions chaque étape de leur vie, de la plus anodine conversation aux révélations qui, en une seconde, dévoilent un détail que nous ne soupçonnions pas. 
Vous l’aurez compris, Samantha Bailly brosse des caractères, complexes, et insère ses créations avec simplicité, les agrémentant de multiples facettes, tantôt sombres et résolues, tantôt sensuelles et énamourées. Tous auront leur quart de gloire dans cette vaste fresque et, quelles que soient vos préférences, l’auteur mettra un point d’honneur à développer leur passé, leurs aspirations et pensées. De quoi contenter tous les appétits !
D’ailleurs, avec les protagonistes, ce sont plusieurs thèmes qui sont évoqués : le deuil, le commerce de la mort, la poursuite de la liberté, au risque de répandre le malheur, seront traités de manière satisfaisante ; et si d’autres, plus légers, explorent des sujets plus convenus, on évite cependant de tomber dans la mièvrerie.

Bien sûr, le roman ne s’exempte pas de défauts ; nous pourrions regretter le recours à quelques facilités (par exemple, un homme accompagné d’un lynx, avec lequel il communique par télépathie, maîtrisant mal la magie et servant son royaume, ce ne sera pas sans nous rappeler un certain Fitz !), néanmoins les influences ne se transforment pas en inspirations radicales, et l’auteur ajoute sa touche personnelle, renouvelant correctement la donne.
Par ailleurs, on pourrait revenir sur quelques transitions rapides, qui auraient mérité des éclaircissements supplémentaires et occasionneront des rebondissements plus prévisibles.

Ainsi, Samantha Bailly réussit le pari de présenter un univers assez novateur pour nous intriguer. Si le roman reste perfectible, il comblera le jeune lectorat, ou le moins jeune d’ailleurs, ne soyons pas fermés, et annonce un diptyque véritablement intéressant. Grâce à une plume agréable, sans pour autant parer à quelques maladresses, l’auteur profite d’une bonne base et l’excès d’enthousiasme n’entachera pas cet appréciable moment de lecture.

 

Note finale -jeune lecteur- : 8/10

Sahagiel